Par Christian Jauréna
A Lavaur, où s’est poursuivi le Festival Rugb’images (du 19 au 29 mars), s’est tenu vendredi dernier, un débat sur les risques de commotion cérébrale et les moyens de prévention mis en place conjointement par la FFR et la LNR.
Intervenants : David Brauge (neurochirurgien au CHU Purpan de Toulouse), Bernard Vaur (président de la commission médicale de la Ligue Occitanie de rugby), Maxime Villalongue (ancien joueur victime de graves commotions ayant du renoncer au rugby), Léo Faure (n°8 et grand espoir de Lavaur).
Animatrice : Dominique Issartel (journaliste à L’Equipe) qui pose la première question : « qu’est-ce qu’une commotion cérébrale ? »
David Brauge : une commotion cérébrale c’est un choc à la tête avec soit un impact direct (coup) ou un choc indirect (par exemple un accident de forte décélération). Apparaissent dans les instants qui suivent des signes neurologiques qui indiquent que l’onde de choc ne s’est pas arrêtée au crâne mais a été transmise à la masse cérébrale. On observe un trouble fonctionnel du cerveau. Il y a souvent perte de connaissance mais pas toujours ; cela peut aussi se manifester par un trouble de l’équilibre provisoire (titubation), une envie de vomir, une crise d’épilepsie, la personne qui tombe avec les deux membres supérieurs qui s’étendent…
Dans les jours qui suivent, tout un tas de symptômes, qualifiés de « syndromes commotionnels », attestent que le cerveau récupère de cet événement. Il faut 8 à 10 jours pour la plupart des cas habituels.
Depuis 2012, avec l’instauration du protocole, on est passé d’une cinquantaine de commotions à une centaine par an. Le rugby est-il particulièrement dangereux ?
Bernard Vaur : il ne faut pas dramatiser. J’ai vu trois matches de foot récemment avec trois commotions cérébrales. Le rugby est un sport de combat. Le nombre a augmenté par rapport au temps où je pratiquais même s’il n’y a plus de bagarres générales. Les modifications de règles ont fait qu’il y a d’autres types de commotions surtout chez les professionnels avec des joueurs body-buildés. Je pense aussi que la mise en place du protocole a augmenté le nombre de commotions parce qu’avant, on ne les relevait pas.Maxime Villalongue : aujourd’hui les séquelles sont plus importantes.
En 2005, première années du Top 14, il y avait 26 joueurs de plus 120 kg, aujourd’hui plus d’une centaine…
David Brauge : les médias entretiennent la confusion entre évolutions dans les rugbys pro et amateur. Je ne crois pas qu’il y ait grande différence chez les amateurs avec ce qui se passait il y a 20 ans. Chez les pros, c’est évident que ç’a augmenté. La commotion cérébrale c’est la blessure du défenseur : le plaqueur qui prend le genou dans la tête (souvent les n°10 et n°12). Ce n’est pas la blessure du ruck malgré l’énergie cinétique qui y est engagée.
Les statistiques révèlent que les postes les plus exposés aux commotions sont le n°10 et le n°2. A propos des amateurs, plus de 1800 commotions ont été recensées l’an dernier par la FFR. Chez les amateurs, pas de médecins, pas de protocoles. Comment les protéger ?
Bernard Vaur : je vais voir matches cadets juniors, il n’y a pas plus de commotions que quand je jouais, il y a très longtemps. Le gros problème du rugby, alors, c’était les fractures cervicales. Des joueurs de première lignes en sont morts… Les règles ont changé pour contrer ça. La modification des règles fait qu’il y a plus de rucks et de plaquages hauts : seul moyen de récupérer ballon. Avant, on ne plaquait pas à deux. Ça fait que la tête est plus exposée.
Peut-on revenir en arrière sur les règles ?
Léo Faure : le plaquage haut, on pourrait le baisser. Ce n’est pas dans les rucks qu’on voit le plus de ko.
David Brauge : le premier point c’est ce qu’on fait ce soir : de l’information auprès du public. Si ça se passe loin du médecin, le spectateur peut intervenir, en prévenant qu’un joueur a subi une commotion. On en parle beaucoup avec la Direction technique nationale. On réfléchit aussi à changer les règles et à améliorer la technique du plaquage. C’est souvent la tête du plaqueur qui est mal positionnée qui trinque. Autre axe de prévention, c’est le carton bleu chez les amateurs qui donne pouvoir à l’arbitre de sortir un joueur dès qu’il a un doute. Autre élément qu’on essaye de mettre en place c’est qu’un joueur commotionné ne peut revenir à l’entraînement qu’après avoir reçu feu vert de son médecin généraliste. On va proposer des formations aux généralistes en Occitanie sur la commotion cérébrale. D’autres fédérations vont s’associer
Peut-on informer les joueurs ? Tous les commotionnés racontent qu’ils n’étaient pas au courant.
Bernard Vaur : amener les gens à consulter, c’est bien. Mais il faut informer ceux qui sont autour du commotionné. Il faut surtout informer l’encadrement. Le commotionné ne va pas forcément bien réagir.
Maxime Villalongue : au-delà de l’encadrement des clubs, il faut surtout informer les parents et la famille proche. Il y a eu récemment un cas à Paris, où un gars a pris un choc le dimanche en match. Il ne se sent pas bien mais continue à jouer. Le mardi, il retourne à l’entraînement et reprend un choc. Le mercredi, il est barbouillé, il vomit un peu ; sa mère croit à une gastro. Le vendredi il ne se sent pas mieux et ne va pas boire une bière avec les copains après l’entraînement. Le dimanche il joue, prend un choc et se retrouve dans le coma pendant deux mois et demi. Si sa mère ou sa copine avait décelé ces symptômes, il n’aurait pas joué ce match. Il va mieux, mais il a failli y passer.
Quels sont les signaux d’alerte pour une commotion ?
David Brauge : il y a 22 signes décrits après une commotion. Même une même personne qui fait deux commotions dans sa vie n’aura pas forcément les mêmes symptômes les deux fois. Si, après un traumatisme crânien, le sujet a mal à la tête, est agressif ou triste, s’il vomit…, ça c’est du ressort de la famille. On réfléchit, au niveau amateur, à envoyer un mail à toutes les familles de commotionnés recensant les 22 signes post-commotion. Et, si l’état s’aggrave, d’aller vite à l’hôpital. Je voudrais demander à Léo, comment s’est passée la commotion dont il a été victime…
Léo Faure : j’avais 16 ans en cadet ; j’ai pris choc à la tête et, après, je faisais n’importe quoi avec le ballon, l’entraîneur m’a sorti. Il n’y avait pas de médecin avec nous. La nuit d’après, j’ai bien dormi et quinze jours après, j’ai repris
David Brauge : pas besoin d’hôpital forcément, le repos est le meilleur des remèdes. En revanche, on Interdit de laisser seul un jeune joueur après commotion ; une jeune de moins 18 ans qui prend une commotion doit s’arrêter trois semaines (deux chez les séniors).
Parce que les risques sont décuplés en cas de deuxième impact ?
David Brauge : on appelle ça le syndrome du deuxième impact avec deux commotions d’affilée. La seconde a des effets beaucoup plus importants sur le cerveau que ne le laisse préjuger la force de l’impact. Ce qu’on sait c’est que, presque tous les cas rapportés concernent des jeunes de moins de 20 ans. Ce dont on est sûr, c’est que c’est très grave car le taux de mortalité est de 50% et le taux de séquelles neurologiques c’est 100%. C’est pour ça qu’on est très stricts sur les mineurs. A World Rugby on envisage de monter à 19 ans, l’interdiction de reprendre avant trois semaines… Parce que les jeunes sont particulièrement plus à risque.
Bernard Vaur : en commission médicale on a envisagé de faire un passeport comme au judo, pour noter les traumatismes, sur lequel on devrait inscrire les commotions et les dates de reprise.
David Brauge : le maximum dans les cas reportés de deuxième impact, c’est quatre semaines. On parle d’une centaine de cas dans le monde ; ça reste très rare mais il faut respecter ces temps de repos.
On voit souvent des joueurs tituber en quittant le terrain et y revenir après avoir subi le test commotion…
Bernard Vaur : ça, on peut très bien décider, au niveau Top 14, que tout joueur commotionné ne revient pas, sans passer de test. Là on a étendu à 10 minutes le temps avant de pouvoir revenir sur le terrain. Le coaching a modifié la donne. Avant, si on sortait, on laissait les copains à 14. Je ne pense pas qu’il y ait beaucoup d’irresponsables pour renvoyer des joueurs commotionnés sur le terrain. Le risque, c’est qu’on passe à côté, que la commotion ne soit pas vue…
En Top 14, les chiffres disent que 30% des joueurs déclarés commotionnés le lundi, sont revenus sur le terrain au cours du match du week-end précédent après avoir passé le test…
David Brauge : le diagnostic est spécifique au rugby pro. Chez les amateurs, le joueur suspect sort. Chez les pros, le protocole commotion c’est pour les situations pas claires, quand le médecin, au bord du terrain avec sa tablette, ne sait pas. Le test est le même pour tous en Top14 et ProD2. On fait passer au joueur un mini test de QI, d’équilibre, de mémoire et de coordination. Le test ne doit pas prendre moins de dix minutes disent les recommandations internationales. Au rugby c’est 10’ max. Le protocole prévoit trois temps : au sortir du terrain, quatre heures après, et deux jours après. Parce que la commotion peut être évolutive. Ça m’est arrivé de décréter commotionné le lundi, un joueur qui avait repris le match le samedi. Le test actuel n’est pas fiable à 100% et ce qu’on fait aujourd’hui, ce n’est pas ce qu’on fera dans dix ans mais c’est mieux que ce qu’on faisait il y a dix ans.
Pensez-vous que la courbe des commotions va s’inverser ?
David Brauge : j’ai l’impression qu’il y a de plus en plus de blessés, et donc, sûrement, plus de commotionnés. Mais j’ai bon espoir que cette courbe se stabilise quand aura affiné prévention et tests. Je m’appuie sur ce qui s’est passé il y a quelques années avec les cas de tétraplégie. Aujourd’hui on a presque réduit ces accidents à zéro.
Que dîtes-vous aux parents qui ont peur de laisser leur enfant jouer au rugby ?
Bernard Vaur : encore une fois : ne pas dramatiser. On peut ne plus conduire parce qu’il y a des accidents de la route, ne plus boire, ne plus manger, ne plus baiser… On peut ainsi avoir une vie plus longue mais elle risque d’être ennuyeuse. Ça ne nous empêche pas d’améliorer la surveillance, l’information et la technique de plaquage…
David Brauge : la grosse question c’est les séquelles après commotions. Les Américains ont appelé ça le « punch drunk » parce que des anciens boxeurs se comportaient comme des alcooliques avec le cerveau abimé. Dans la boîte crânienne de ces gens-là, on a trouvé des lésions. On a défini une nouvelle maladie qu’on a appelée « encéphalopathie post traumatique ». Un faisceau d’arguments fait suspecter lien avec des commotions répétées, même si le lien n’est pas prouvé. La première étude analyse les fiches de sécurité sociale chez les anciens joueurs de foot américain pour voir de quoi ils souffraient ; ils ont un taux de mortalité par maladie neuro dégénératives trois fois supérieur à la moyenne de la population nationale. Mais ils sont en meilleure santé que le reste de la population et ils vivent plus vieux.
Deuxièmement, à Boston, on a créé une banque de cerveaux d’anciens athlètes. L’institut encourage les anciens joueurs à faire don de leur cerveau à la science. Ils ont aujourd’hui plus de 300 cerveaux et 80% de ceux qui ont été analysés ont révélé une encéphalopathie. Mais ceux qui donnent leur cerveau souffrent souvent de maladies neurologiques (signes de démences, dépressifs). Ce 80% ne représente pas toute la population mais 80% de ceux qui ont donné leur cerveau.
Maxime, pouvez-vous nous raconter ce qui vous est arrivé ?
Maxime Villalongue : en préambule, je veux souligner que je reste à fond derrière le rugby et que j’aimerais que mon fils y joue plus tard. Mais il faut prendre au sérieux les commotions et leurs séquelles. Moi, depuis un an, j’ai du réapprendre à marcher, à parler, comme si j’étais un enfant. J’ai encore des problèmes d’élocution, de coordination et d’équilibre. Mais il faut que chaque joueur soit formé pour prendre au sérieux les signes de commotion ; comme c’est invisible, on essaye de le cacher pour rester sur le terrain. Quand on a mal au genou, on consulte et là c’est pareil : va voir un médecin quand tu as pris un coup sur la tête !
Léo, est-ce que ça vous fait peur, en tant que joueur ?
Léo Faure : oui ça fait peur les commotions. Maxime a entièrement raison, il faut informer les joueurs mais aussi leurs familles.
Est-ce que le casque est utile contre les commotions ?
David Brauge : le casque n’a pas d’effet, disent la majorité des médecins. Parce qu’il n’y a pas d’étude qui le prouve. A titre personnel, je ne suis pas d’accord, charge à moi de le prouver. Cet argument anti-casque vient de la levée de l’inhibition : quand on a un casque, on fonce la tête la première… Au rugby, je le conseille. Il y a des joueurs très connus que vous voyez porter un casque désormais parce que je les voyais un peu trop souvent en consultation.
Bernard Vaur : le casque est déjà efficace contre les coupures.
Léo Faure : j’ai un casque depuis que j’ai 8 ans. Et si je devais joueur sans, ça serait pratiquement impossible. Je n’arriverais pas à plaquer, je serais vraiment sur la retenue. C’est vrai qu’avec un casque, je me sens protégé.
David Brauge : le football aussi est énormément touché. Les coups de tête sur le ballon, c’est autre chose. Peut-être que dans 15 ans on parlera de ces impacts-là. Pour l’instant on est sur les commotions du rugby.
On voit aussi des joueurs, coudes en avant, qui donnent des commotions… Il y aussi les plaquages où on retourne l’adversaire, souvent à deux. N’y-a-t-il pas une responsabilité dans l’encadrement au sens large ?
Maxime Villalongue : en Fédérale 2, je n’ai pas souvenir qu’on m’ait parlé de ça. Chez les Espoirs du Racing on était sensibilisé sur les plaquages dangereux, pas particulièrement sur les coudes en avant, même si on savait que c’était interdit et dangereux.
Les terrains synthétiques ne risquent-ils pas d’aggraver le problème ?
Bernard Vaur : les terrains synthétiques sont plus durs et occasionnent donc des chocs au sol plus importants. Mais je pense qu’ils augmentent plus les risques au niveau des articulations, parce que les appuis sont différents, que pour les commotions.
Y-a-t-il des examens sur les joueurs n’ayant pas subi de commotions mais pouvant être à risque ?
David Brauge : Encore une fois, il y a les professionnels et le reste du monde. Les premiers, depuis 2012, passent un bilan neurologique de présaison. Il faut des valeurs de base pour une personne donnée qu’on comparera ensuite à celles relevées durant son protocole commotion. Pour les amateurs, on essaye de mettre en place l’obligation de passer voir le médecin avant la reprise. Le problème, c’est la formation des généralistes. On va essayer d’y parvenir pour isoler les rares cas problématiques.
M. Brauge, basé au CHU de Toulouse, vous êtes tout près de nombreux terrains d’équipes professionnelles. Est-ce que les joueurs qu’on voit sortir du terrain le week-end passent dans votre cabinet le lundi ?
David Brauge : Oui, sur Toulouse on couvre le Stade Toulousain, Colomiers, Montauban, Carcassonne et Castres. Avec aussi leurs équipes espoirs ; ça fait donc du monde. En moyenne, on a un ou deux joueurs chaque lundi à notre consultation.
Jo Dalla Riva, adjoint aux Sports à la mairie de Lavaur et ancien joueur de Carmaux intervient alors :
Jo Dalla Riva : je vais vous raconter ce qui s’est passé lors d’un match que j’ai joué avec Carmaux, contre Brive, il y a quarante ans. Je pense que si on avait été sensibilisé et informé comme vous le faîtes maintenant, ça ne se serait pas passé du tout pareil. Dans un premier temps, mon partenaire, Michel Albinet plaque Besson, un joueur de Brive. Il se relève mal, on le soigne et il continue. Plus tard, sur une chandelle de Jean-Pierre Romeu, il récupère le ballon et marque un essai. On est tous autour de lui pour le féliciter et il nous repousse en criant « ne me touchez pas, j’ai mal à la tête ! ». Et il continue à jouer. A dix minutes de la fin du match, les Brivistes tapent une chandelle et, à la réception, éclate une bagarre générale. Là, Michel prend un dernier coup et s’effondre. Il va faire une vingtaine de jours de coma et sera handicapé à 80%. Il l’est encore aujourd’hui, quarante ans après. Alors, quand vous parlez comme ce soir, ça me marque. Si on avait su, alors, Michel n’aurait pas passé sa vie dans cet état. Heureusement que vous existez, continuez…
Le festival Rugb’Images se poursuit jusqu’au jeudi 29 mars. Retrouvez son programme complet sur le site www.rugbimages.com